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(45) Ce n'est rien …
et c'est déjà beaucoup !
 
Beaucoup … de sceptiques systématiques diront que nos rapprochements ne changeront rien à leur conviction que le basque est une langue à part ! Mais, optimistes convaincus que nous sommes, nous continuons de penser qu'il y a encore parmi eux des gens suffisamment sensés pour changer d'avis. A leur adresse, nous ne nous lasserons pas de marteler la phrase d'André MARTINET [1] rappelée dans l'introduction à tous nos articles : « On se gardera d'oublier que l'on peut attribuer au hasard une ressemblance isolée, mais non un ensemble de faits connexes. »
 
Et toutes les ressemblances (déjà nombreuses) que nous avons révélées, ce sont certainement, au regard de la richesse d'une langue, des petits riens … mais c'est déjà beaucoup … ce que nous allons voir à nouveau ici et maintenant !
 
Rien ...
A la question ZER DIOZU "que dites-vous ?", le basque peut répondre DEUS "rien", sous-entendant une négation (EZ "non") car, sans la négation, DEUS signifie "quelque chose". Mais nous avons aussi le terme EZDEUS "rien, néant, inutile" tout à la fois substantif et adjectif.

Or, Homère utilisait les formes ἐδευσεν [edeusen], δεήσω [deḗsō] et ἐδέησα [edeēsa] du verbe δεω [deō] qui, selon le fameux helléniste Pierre CHANTRAINE « exprime l'idée de "manque, privation, demande" … » ; il leur attribue le sens originel de "manque, infériorité", en suggère une racine /δευς-/ [deus-] qu'il rapproche du sanskrit /doṣa-/ "manque" et de l'i.-e. reconstitué /*douso/ !
Et puisque « deux fois rien, c'est déjà quelque chose », comme disait le regretté Raymond Devos, nous avons aussi les termes PITS "rien, miette, bagatelle …" et PITXIKA "pincée, petite quantité" [2] que l'on peut également oser rapprocher du grec ψίχη [psíkhē] "miette" (?).
Beaucoup ...
de termes pour traduire la notion d'abondance et plusieurs d'entre eux fleurent bon l'indo-européen :
Nous en avons déjà rencontré plus d'un …
- Dans un article consacré à la numération, le terme BOST "cinq" était apparu avoir le sens de "beaucoup" [3] … et nous avions fait remarquer qu'il en était de même dans plusieurs langues indo-européennes [Article N° 29] ;
- Dans ce même article numéral, nous avions souligné la similitude saisissante du souletin PHÜRÜ "au moins" (c.-à-d. "égal ou plus") avec le sanskrit purũḥ "abondant" ;
- Nous avons également croisé les termes BET(H)E / BET(H)ERIK "rempli, plein" dont nous avons évoqué la similitude avec les grecs πλῆθοος [plēthos] "grand nombre, abondance" et πλῆθορικος [plēthorikos] "plein" [Article N° 23].
Et nous en avons d'autres comme …
- AUSARKI, ASKO "en abondance", "beaucoup" qu'Eñaut ETCHAMENDY rapproche du grec αὐξηρός [auxērós] "qui fait croître, qui croît" et de αὔξω [aúxō] "augmenter, accroître" … en faisant remarquer que le -KI du premier terme basque transforme en adverbe un hypothétique terme AUSAR (dont on a peut-être perdu l'usage) [voir notre article consacré aux suffixes N° 24].
- FRANGO/FRANKO "beaucoup" qui peut être rapproché de l'avestique frāyō "plus" et fraēštō "le plus abondant".
- PULUSTA "beaucoup" que l'on pourrait peut-être rapprocher sans grande témérité du grec πολύς [polús] "nombreux" ?
- LILIRIKA(N) [5] "plein à ras bord" nous offre, outre un équivalent arménien li "plein" et li-r "abondance", une structure typiquement indo-européenne : redoublement de LI et suffixe -KA des verbes grecs employés pour des actions passées et délimitées dans le temps (équivalent de notre passé simple).
Au deuxième plan, extrait de la réalisation de Jean-Baptiste Pigalle en 1765 (place royale à Reims),
intégrant dans le socle de la statue de Louis XIV une Corne d'abondance, issue de la mythologie grecque.
PHÜRÜ "au moins"
(soit "égal ou plus")

AUSARKI, ASKO
"en abondance", "beaucoup"

PULUSTA
"beaucoup"

LILIRIKA(N)
"plein à ras bord"


FRANGO/FRANKO "beaucoup"
 
(sanskrit)
purũḥ
"abondant"

αὐξηρός [auxērós]
/ αὔξω [aúxō]
"qui croît"/ "accroître"

πολύς [polús]
"nombreux"

(arménien)
li-r
"abondance"

(avestique)
frāyō
"plus" /fraēštō
"le plus abondant"
  Pays basque
  sanskrit/avestique, grec, arménien
 
- Enfin, nous avons NASAI dont l’un des sens est “abondance, foisonnement” qu'Eñaut ETCHAMENDY rapproche du grec νῆσαι [nēsai] “entasser, charger, bourrer”, dont la forme νηῆσαι [nēēsai] utilisée par Homère est considérée par Pierre CHANTRAINE comme l’une des plus anciennes mais, de son propre aveu « pas d'étymologie. » !
 
En résumé ...
Ne trouvez-vous pas que tous ces petits riens de similitudes, ajoutés aux abondantes ressemblances évoquées à travers nos articles, cela commence à faire … beaucoup !
 
 
[0] Les mots "entre [ ]" donnent la prononciation des termes grecs (en bleu) à l'aide de l'alphabet phonétique international. Tous les autres mots "en bleu italique" sont également écrits à l'aide du même alphabet phonétique.
 
[1] MARTINET André [1908-1999] Elève de De SAUSSURE ...
Considéré comme un des grands linguistes généraliste (avec un ouvrage de référence :
« Éléments de linguistique générale » 1960) et tenant de l'évolution à travers le temps de la fonction des sons dans la structure des mots. Il a publié une vingtaine d'ouvrages dont « Économie des changements phonétiques » 1955 et « Évolution des langues et reconstruction » 1975.
[2] Dictionnaire basque-français de Pierre LHANDE (1926)
[3] Dictionnaire basque-espagnol-français de Resurreccion Maria de AZKUE (1905)
[4] s/PULUSTA/PULUXTA dans le Dictionnaire de LHANDE : quantité, nombre assez considérable
[5] Terme dialectal utilisé selon E. ETCHAMENDY à Béhasque, Lantabat, Ispoure, Baïgorry.