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(49)
PRE-FIXATION |
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Le lexique basque « n’aurait pas de préfixes » … c’est du moins ce que prétendent certains bascologues reconnus qui en prennent argument pour souligner une différence de plus d’avec les langues indo-européennes ! C’est cette idée préconçue que nous allons contredire dans le présent article grâce à la comparaison externe du basque d’avec des langues indo-européennes. Mais avant tout, nous devons définir de quoi nous parlons … | |||||||||
Définition préliminaire … | |||||||||
Dans les deux termes de ce sous-titre, dé- et
pré- sont des préfixes, c’est-à-dire
des mots n’ayant pas d’existence propre qui précédent
un radical (une racine), fin pour le premier. Contrairement aux
suffixes qui modifient souvent la nature du radical (par exemple,
le substantif-radical fin devient le verbe finir, l’adjectif
final ou l’adverbe finalement), les préfixes
n’altèrent pas la nature du radical préfixé,
comme dans les exemples du français suivants : [substantifs] histoire/préhistoire,
[adjectifs] heureux/malheureux, [verbes] faire/défaire
… Précisons enfin, que les préfixes basques que nous allons mettre en évidence ne sont pas les préfixes verbaux, très nombreux dans la conjugaison euskarienne, mais bel et bien des préfixes du type de ceux que nous venons d’évoquer. |
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Bis repetita placent [1] | |||||||||
BEGI "œil", BELARRI/BEHARRI
"oreille", BE(H)ATZ “pouce”, BELAUN
"genou", BUZTARRI "joug" … autant de mots
(pour certains déjà rencontrés) dont les premières
lettres BE-/B- marquent des entités allant par paire
(duels). Seul BI “deux”, et non BE-/B-,
existe dans le lexique basque à l’état autonome : BE-/B-
peuvent donc bien être considérés comme des préfixes
… n’en déplaise à certains ! |
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Et, à propos de plaisir, on relève dans le fameux dictionnaire de Pierre LHANDE (1926) la définition suivante de ATSE- : « préfixe marquant une idée de plaisir ». Ce préfixe se retrouve, par exemple, dans (H)ATSEGIN "plaisir, contentement" et ATSEEMAN "plaire" (littéralement "donner du plaisir") … qui, par parenthèse, n'est pas très éloigné (pour le sens comme pour la phonétique) du grec ἄσμενος [ásmenos] "joyeux, content" ! | |||||||||
ZA-, s’avère être un préfixe indéniable ! | |||||||||
Nous l’avons déjà évoqué avec le parallélisme étonnant des formes basque (E)ZAGUNARAZI “faire connaître” et grecque ζά-γνωριζω (zá-gnōrízō) “je fais connaître” (Article N° 6) où le préfixe ζά-(zá-) est l’équivalent éolien/lesbien du préfixe διά- (diá-). Cela permet de reconstituer un très probable radical « fossile » basque -GUN à mettre en relation avec le grec (ἔ)-γνων [(é)-gnōn] qui transparaît également dans le germanique gon- (et gothique kann) [kennen en allemand moderne] avec le sens de “connaître”. | |||||||||
De la même manière, le terme basque ZAPA “oppression, compression, pression” et le verbe apparenté ZAPATU “opprimer, comprimer, écraser, presser” ne peuvent-ils pas être rapprochés du grec ζά-(διά-)πατεω [zá-(diá-)patéō] du verbe πατεω “écraser”. Et dans la parenté de ZAPA(TU), citons également le terme de sens voisins ZAPALDU “écraser, aplatir …” ; si, en outre, on retient que l’épervier s'abat (s’aplatit) sur sa proie, est-ce vraiment un hasard qu’il ait pour nom basque ZAPALATZ ? | |||||||||
Le préfixe grec ζά-[zá-], forme éolienne de διά- [diá-], apparaît généralement avec le sens “à travers”, mais il est plus « … rare en composition avec un sens superlatif, notamment dans des composés épiques et poétiques [...] » [2]. Avec cette dernière nuance « d’intensité », ne conviendrait-il pas de le rapprocher du « ZA » de ZABAL “large, vaste” mais aussi ”abondant, généreux” (ζαπληθής [zaplēthḗs] “très plein” en grec) et du « SA » de SAMIN “amer, colérique” (ζαμενής [zamenḗs] “violent” en grec) ? | |||||||||
La famille de mots ZAPART/ZAPARTA/ZAPARTU “éclat, éclatement (en se répandant)”/ “beaucoup”/ “éclater” obéit probablement au même modèle comme le laissent supposer les termes sanskrit sphā́rjati “jaillir” et grecs σπαργάω [spargaō] “se gonfler, être prêt à jaillir”, σφαραγέομαι (spharageomai) “se gonfler, éclater” … | |||||||||
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À Pierre LHANDE de conclure | |||||||||
Dans l’introduction à son fameux dictionnaire (page XIII), le bascologue écrit « On ne trouvera dans nos tableaux ni les préfixes (en petit nombre, il est vrai, pour les substantifs, mais infinis pour les verbes), … », ce qui prouve clairement qu’il reconnaissait l’existence de préfixes dans la langue basque. Citons-en quelques-uns issus des premières pages des lettres A et B dudit dictionnaire, avec les termes exacts qu’il emploie [et entre crochets, nos commentaires] : | |||||||||
- AHA- […] préfixe provenant sans doute
aussi de aho bouche, visage et qu'on retrouve dans plusieurs mots
indiquant une idée de parenté, tels que : ahaïde,
ahide ; ahailro, ahako ; ahaku, etc. - AMA- C[ommun aux trois dialectes]. préfixe : dix. - ARA- C. hara- L[abourdin]. préfixe indiquant le sens de viande, chair. … - AURR- préfixe indiquant le sens de « face », « devant ». [exemple] aurendatu progresser … |
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- BERR- C. préfixe indiquant une idée
de redoublement, de répétition, d'accroissement […]
que l’on retrouve dans des mots tels que berregin ["refaire,
reconstruire"], berehun ["deux cents"],
berrerosle ["rédempteur"] …
[Rajoutons berrantolatu "réparer",
berrerosi "racheter", berrezari "restaurer",
berreskuratu "reconquérir, récupérer"
…] - BIR(R)- … préfixe de répétition apparenté à bi ou à berritz et qu’on retrouve dans des mots tels que : … birregin, refaire ; birjasta, goûter de nouveau ; … ; birlandu, travailler à nouveau ; … - BIZPA- préfixe signifiant une approximation de nombre ; … [bizpa]lau [en Soule]/ [bizpa]laurr [en Labourd et Navarre] de trois à quatre … |
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[0] Les mots "entre [ ]" donnent la prononciation des termes grecs (en bleu) à l'aide de l'alphabet phonétique international. Tous les autres mots "en bleu italique" sont également écrits à l'aide du même alphabet phonétique. | |||||||||
[1] Célèbre phrase inspirée de l’Art poétique du poète latin Horace (vers l’an 10 avant J.-C.) soulignant que les choses répétées (repetita) deux fois (bis) plaisent (placent) … quand d’autres (sans doute de moindre qualité) ne plaisent qu’une fois ou … pas du tout ! | |||||||||
[2] Remarque de Pierre CHANTRAINE relevée dans son
« Dictionnaire étymologique du grec ancien » (1968) à propos de ζά-. |
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